“Cette enfant est un génie !”: Mademoiselle Mozart de Yôji Fukuyama

« Mademoiselle Mozart… » avais-je lu sur Twitter, intriguée, début janvier. Ayant la tête dans d’autres mangas, d’autres sorties, je l’avais occulté jusqu’à le rencontrer de nouveau en librairie. Non seulement je trouvais le titre intrigant, mais en plus il y avait cette couverture que je trouvais tout aussi intrigante. J’ai tout de suite beaucoup aimé ce personnage à l’air un peu pantois, dont on a su capturer l’instant de la surprise. Pour autant, je n’achète pas car il faut savoir être raisonnable. Les jours passent, j’y pense et j’y repense encore. Au diable l’avarice, je me précipite en librairie pour acheter et enfin découvrir ce qui se cache derrière ce « Mademoiselle Mozart ».

Et si Mozart avait été une femme ? C’est avec cette idée en tête que Yôji Fukuyama se lance ici dans une biographie imaginaire du célèbre virtuose-compositeur Mozart. Devant le prodigieux talent de sa benjamine, Élisabeth, Léopold Mozart décide de faire d’elle Wolfgang Amadeus Mozart. Les mœurs du XVIIIe siècle ne permettant pas au génie féminin d’être reconnu à sa juste valeur. Désormais jeune homme, Mozart est déjà extraordinairement populaire à Vienne, aussi bien auprès de l’empereur Joseph II qu’auprès des femmes et des hommes. Mais Mozart doit garder une distance afin que son secret demeure. Pourtant, celui-ci est rapidement découvert par le compositeur de la cour, Antonio Salieri. De plus, Mozart s’éprend de la jeune Constance… Qu’adviendra-t-il de son secret ? Qu’adviendra-t-il de Wolfgang Amadeus Mozart ?

Mademoiselle Mozart est un manga de Yôji Fukuyama publié entre 1989 et 1990 dans les pages du magazine Morning. Rencontrant un formidable succès, le manga est adapté en comédie musicale en 1991 par la compagnie théâtrale Ongakuza puis en 2021 par la Toho. Bénéficiant de quatre éditions, c’est la dernière en date qu’ont choisie les éditions Atelier Akatombo pour publier le manga en France. Mademoiselle Mozart est disponible en librairie pour un prix de 10,80€.

Comme mentionné plus haut, Mademoiselle Mozart est une biographie imaginaire. Le terme de « biographie imaginaire » est paradoxal. La « biographie » implique de restituer des faits historiques réels, c’est un travail d’historien, de scientifique. Tandis que l’ « imaginaire » implique la fiction, le travail d’un artiste. C’est un genre littéraire que j’aime beaucoup car il permet de raconter d’une nouvelle manière une histoire que l’on connaît déjà. Il permet aux auteurs, autrices, mangakas, de prendre des libertés sur le réel, de le tordre, d’en faire ce qu’on veut afin d’en ressortir une fiction à part entière, un véritable travail d’artiste. On peut citer Innocent, Le Requiem du Roi des Roses ou encore Miss Hokusai. On peut aussi citer La Rose de Versailles, Thermae Romae ou Sakuran, qui relatent les vies de personnages fictifs afin de faire parler l’époque dans laquelle ils sont inscrits. Si j’aime la biographie imaginaire, c’est aussi parce que c’est un genre qui, en introduisant de la fiction dans le réel, autorise le manque de rigueur, les petits anachronismes afin de nous plonger dans une période historique fantasmée, afin de nous faire rêver. La biographie imaginaire est aussi intéressante car à travers son propre paradoxe, elle fait aussi ressortir celui du personnage biographé. En choisissant Mozart, Yôji Fukuyama fait un choix intéressant. On connaît tous Mozart: un jeune prodige à l’oreille absolue qui se produit dès son plus jeune âge un peu partout en Europe, qui compose nombre d’opéras que l’on joue encore, et pour finalement connaître une mort mystérieuse à seulement 35 ans. Mozart est déjà un personnage extraordinaire. L’idée de l’imaginer comme ayant été une femme renforce d’autant plus ce côté extraordinaire, hors-normes. Cette idée permet de rendre le récit (fictif) de sa vie encore plus passionnant que celui qu’on lui connaît déjà. Grâce à ce nouvel élément surprenant, j’ai dévoré le manga. J’avais constamment envie de savoir la suite. Que va faire Mozart ? Comment va-t-il s’en sortir ? Va-t-il réussir à garder son secret ? Comment est-ce que le mangaka va raconter son mariage ? Puis sa paternité ? Bien sûr, le mangaka fait intervenir divers personnages de la vie de Mozart d’une manière différente à celle de la réalité historique, dont ses assistants, dont Antonio Salieri. Pour Yôji Fukuyama, la vie de Mozart est un terrain de jeu aux multiples possibles, et pour nous, lecteurs et lectrices, un jeu auquel il est passionnant d’assister.

Contrairement à plusieurs des autres mangas mentionnés plus haut, Yôji Fukuyama opte pour un ton plutôt comique pour raconter la vie de Mozart. Ce ton un peu badin est tout à fait à l’image du personnage principal. Ce Mozart est excentrique, grossier aussi bien dans ses actes que dans ses paroles (particulièrement dans ses blagues scato), et n’a aucun filtre. On retrouve le caractère comique du manga dans le trait du mangaka. Il est léger, simple, clair et très expressif. Ces qualités se reflètent aussi dans le découpage des planches. Quoique Yôji Fukuyama nous surprend avec des formes, agencements et superpositions de cases venant casser le côté parfois presque trop simple de sa narration. Ces quelques moments viennent rythmer le récit, empêchant l’ennui de se faufiler entre les cases, et permettent de mettre en exergue divers passages importants de la vie de ce Mozart. Peut-être à l’image des compositions du virtuose qui ne laissent aucune place à la routine et qui arrivent à constamment surprendre en leur sein même ?

Gauche: Chassé-croisé de cases. Mozart s’éloigne dans son fiacre tandis que Salieri reste, enragé.

Droite: Que t’arrive-t-il Mozart ? Où vas-tu ?

J’ai beaucoup aimé le Mozart de Mademoiselle Mozart, j’ai aimé la dualité des genres dans ce personnage. Ici, Mozart est une femme ayant grandi comme un homme. Elle ne correspond absolument pas à ce qu’on attend d’une jeune fille de son époque, mais elle ne correspond pas non plus aux critères que l’on attend d’une jeune fille à l’époque du manga. Comme évoqué plus haut, Mozart est excentrique et grossière, complètement naturelle, sans aucun filtre. L’exact opposé de ce que peut attendre la société d’une jeune fille. Mademoiselle Mozart ne se plie jamais aux rôles de genre. Bien sûr, c’est sa condition d’homme qui lui permet ça dans le récit. Malgré tout, ce personnage est une véritable bouffée d’air frais. Plus tard dans le récit, une bascule s’opère. Alors qu’on pense à utiliser la dichotomie homme/femme pour Mademoiselle Mozart, il devient peut-être plus exact que celle-ci s’articule autour du genre et du « non-genre ». Évidemment, le talent et la personnalité de Mozart transcendent le genre, masculin ou féminin, mais ses amours aussi. Iel (sortons les pronoms appropriés !) est autant amoureux.se de Constance qu’iel n’est pas insensible aux avances de Salieri. Mademoiselle Mozart n’est ni homme ni femme, peut-être les deux à la fois, iel est autant Wolfgang qu’Élisabeth, iel est juste Mozart. Cependant, Yôji Fukuyama n’amorce aucune réflexion dans ce sens, et ne cherche pas du tout à se montrer engagé. J’ai trouvé ce côté accidentellement (?) queer, impulsif et spontané, intéressant et très amusant. Mozart en est d’autant plus énigmatique, insaisissable.

Pour évoquer quelques mots sur l’objet, c’est un manga que je trouve très réussi. Si la quatrième de couverture mérite sûrement un résumé, la maquette est plutôt réussie, sans aucune fioriture. Le rouge de la jaquette est beau, c’est ce qu’aurait mérité Yasha chez Panini. La couverture du livre est légèrement plastifiée, ce qui m’a été agréable en lisant ce petit pavé de plus de 500 pages. Oui, je fais partie des gens qui lisent sans jaquette. Le papier est bien blanc, peu transparent, épais, les noirs sont profonds, aucun moirage. Je suis aussi très contente du format 12×18, idéal pour le dessin et le découpage assez simples de Yôji Fukuyama. Je suis prête à parier qu’il aurait été en grand format chez d’autres éditeurs. Enfin, évidemment, son prix est imbattable: 10,80€ pour 500 pages dont une couleur. Avec un tel rapport qualité prix, ce livre me fait beaucoup penser à ce que propose l’éditeur italien J-POP. Mademoiselle Mozart est donc une très bonne surprise sur tous les plans.

Pour conclure, Mademoiselle Mozart est un manga surprenant malgré son apparente légèreté. Il m’a passionné, il m’a fait rire, et surtout, il m’a fait découvrir Mozart d’une façon unique en son genre. Bien sûr, je connaissais Mozart, mais de loin uniquement. C’est aussi un manga qui fait preuve d’une grande inventivité même avec ses nombreuses ressemblances avec un certain film sorti en 1984. Ayant enfin découvert ce qui se cachait derrière ce « Mademoiselle Mozart », j’espère et je pense m’en souvenir pendant longtemps tellement je ressors de ma lecture avec le sentiment d’avoir passé un bon moment. Par ailleurs, Yôji Fukuyama est l’auteur d’un manga nommé Don Giovanni, une adaptation de l’opéra du même nom. Comme nous avons eu la chance qu’il soit publié en France, je devrais probablement me pencher dessus très bientôt…

C’est tout pour moi aujourd’hui. J’espère que cet article vous a plu et qu’il vous a donné envie de lire à votre tour Mademoiselle Mozart. Dans tous les cas, merci beaucoup de m’avoir lu jusqu’au bout. Comme d’habitude, on se retrouve sur Twitter, mais aussi sur ko-fi où vous pouvez faire don à partir d’un euro ou acheter un super marque-page à 4€, frais de port inclus, pour soutenir le financement d’un futur site La Mangasserie ! Des bisous !

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